La pluie ternit sa vision des choses. « Tout est sale. ». Il boude. Il boude comme seuls les adultes savent le faire. Sans retrousser sa lèvre ni croiser les bras. Il s'éjecte du canapé. Campé sur ses deux jambes, il se retrousse les manches. Le moindre objet déplacé lui saute aux yeux. Il s'agite, range.
L'ordre l'agresse. Il défait ce qu'il a fait, renverse tout. L'appartement est sans dessus dessous. Nerveusement, sa main passe sur son crâne, ébouriffe sa tignasse. Il court ouvrir la fenêtre. Le vent amène la pluie. Elle coule sur le parquet, le rafraichit. Il ferme. La cuisine, adjacente au salon, réclame son attention. Sur le feu, l'eau boue.
« Mince ! »
Il enjambe toutes les choses qui trainent sur le sol et s'empare de la casserole. Sur le bar : une tasse. Accroché à son bord, un sachet de thé attend d'être inondé. Il met fin à son attente et pose l'ustensile dans l'évier. Puis, il grimpe sur un tabouret. Ses doigts enlacent la hanse. Là, il attend l'infusion, que le liquide ait tiédi. Vient enfin le moment de l'apporter à ses lèvres. Encore trop chaud, il en boit l'équivalent d'un dés-à-coudre. En voulant écarter la tasse trop vivement, un peu d'eau se déverse sur son débardeur blanc.
« Merde ! »
Il pose tout, se lève d'un bond. La paume qu'il plaque sur l'auréole n'atténue pas la brûlure. Dans la salle de bain, il retire le vêtement, applique un gant froid. La blessure bat encore une minute et, lentement, s'apaise. Sur sa peau, une tâche rouge s'est formée. A nouveau dans la cuisine, il termine de siroter son thé. Désaltéré, il s'affale sur le canapé. Encore. Voilà trois bonnes heures qu'il tourne en rond. L'ennui l'irrite et, peu à peu, l'anesthésie. Léthargique, il se laisse aller à des divagations. Sa bouche déclame une argumentation solide qui, d'après lui, le ferait au moins élire roi ou reine si la place est déjà prise. Ne sachant quoi faire d'autre après ces idioties, il rit.
« Quel imbécile, je te jure.. »
Il tente de se lever. La paresse l'assomme. Il retombe comme une masse. Son corps se penche alors sur le coté, son bras se tend pour saisir la télécommande. Il allume la télévision puis, lui tourne le dos. Elle est de bien meilleure compagnie que le silence. Elle projette des éclairs de lumière sur le dossier. Il l'entend à peine, plus proche de l'endormissement que du réveil. Son besoin de compagnie connait un essor fulgurant. Il se précipite sur son téléphone portable, compose fébrilement le numéro de Gretel. Elle décroche.
« Viens tout de suite, s'il te plait. » supplie t-il. « Ça ne va pas. »
Il raccroche. Ce n'est pas la première fois qu'il ment pour la faire venir. Il espère juste qu'elle doute assez de sa sincérité pour se précipiter chez lui.

Elle plonge sa main dans une mer de fruit, caresse de ses doigts la surface lisse et froide des quelques pommes de saison. Elle en choisit une, la caresse, l'imagine céder entre ses dents. Son sourire s'emmêle dans ses pensées puis elle va jusqu'au comptoir, payer. Elle dépose dans la paume du vendeur une pièce ronde et puis s'en va, sans demander la monnaie. Jusqu'ici le vent file à travers ses cheveux et bouscule sa frange à la façon d'une mère. Rien ne prépare le malheureux coup de fil qu'elle reçoit. Pas une goutte de pluie, pas une chute, pas un seul petit indice. C'est une journée calme et agréable. Une de ces journées blanches où l'on se sent trop bien pour écrire quoi que ce soit. Écrire, s'épancher. Aujourd'hui elle ne s'appartient pas, elle profite seulement de l'espace. Tout à coup son téléphone sonne, la dérange, casse son sentiment de légèreté. Elle s'en débarrassera un jour.

« Viens tout de suite, s'il te plait. » supplie t-il. « Ça ne va pas. »

Elle laisse tomber sa pomme, s'écrase sur le sol. Elle raccroche et passe une main pâle dans sa tignasse brune, laisse même échapper un gémissement d'angoisse. Léger. Elle n'attends pas pour courir jusque chez lui. Elle oublie sa pomme. Tant pis. Les pavés défilent comme les images d'un film en noir et blanc. Il n'y a pas de place pour le suspense, elle sait déjà tout. Il agonise, il n'en peut plus. Sa poitrine se resserre et manque de la faire chavirer. Elle ouvre la porte, avale les escaliers puis arrive, enfin, devant sa porte. Elle attends. Elle ne sait pas pourquoi. Au bout de quelques secondes elle commence à chercher ses clefs puis elle entreprend de faire céder ce dernier obstacle qui la sépare de lui. Doucement, sans un bruit, elle entre. Il ne semble pas encore l'a remarquer.
Elle doute.

« Salaud. »

Elle s'évanouit. Fait semblant. Le doute l'a prise à la gorge au moment où elle est entrée. Elle est fatiguée, épuisée. Elle a trop couru, elle a trop eu peur. S'il ment, il le fera savoir de lui-même.